Maintenant, je pense qu'il y a quelques lueurs d'espoir. Depuis les années 80, on a assisté à une marée de décisions basées sur une conception néo-libérale de l'économie. En gros, il faut laisser faire la main invisible du marché, et on arrivera à la meilleure situation pour tout le monde, tandis que toute intervention publique mène à des catastrophes. Cela a amené à la mondialisation, à la mise en place du GATT puis de l'OMC, et à l'introduction de règles et d'accords internationaux qui font passer la liberté de commercer et d'investir au-dessus de toutes autres considérations, qu'elles soient sociales, environnementales ou simplement démocratiques. Par exemple, presque tous les pays ont signé des accords internationaux pour la libéralisation du commerce. Dans ces traités, les litiges ne sont plus arbitrés par des tribunaux ordinaires, mais par des "tribunaux" hors sol, composés de juristes privés. En d'autres termes, les Etats signataires considèrent que les intérêts privés de compagnies multinationales passent avant les lois et tribunaux issus du fonctionnement démocratique. Il faut ajouter que ces traités sont négociés par des économistes privés, qui n'ont jamais reçu aucun mandat populaire qui les autoriserait à prendre de tels engagements.
Deux exemples récents me font toutefois penser que cette marée pourrait commenbcer à refluer. Et je ne parle même pas ici de la mobilisation populaire contre le climat.
Il y a quelques années, l'Europe et le Canada ont conclu un accord commercial comportant ce type de recours à un tribunal privé. Cela a fait quelques vagues et en Belgique, le gouvernement wallon s'est demandé "wallons-nous avec ça?" et a refusé de signer le texte, qui a donc été retoqué. Ce traité est entretemps revenu modifié et a été signé ; dans une version toujours discutable, mais quand même améliorée. C'est un premier pas.
Autre exemple plus récent : depuis 1994, une cinquantaine d'Etats, y compris ceux membres de la Communauté Européenne, se sont engagés dans le "Traité sur la Charte de l'Energie" destiné à créer un marché de énergie libéralisé à l'échelle européenne. Ce traité instaurait également le recours à un tribunal privé pour juger les plaintes introduites par les firmes privées qui s'estimeraient lésées par des décisions des Etats. Au fil des années, des milliards ont ainsi été réclamés par des multinationales de l'énergie à des Etats qui avaient décidé, par exemple :
- de refuser un permis d'exploitation pour une centrale à charbon
- d'interdire l'exploitation d'un gisement pétrolier pour protéger une réserve naturelle
- de s'achemeniner vers une fermeture des centrales à charbon
Heureusement, concernant ce dernier litige, la Cour européenne de Justice a décidé en 2020 que ce tribunal arbitral privé est incompétent parce qu'il ne fait pas partie du système judiciaire de l'Union Européenne, et que les arrêts qu'il rend risquent de porter atteinte à l'autonomie du droit européen et de la Cour europénne de justice. Les entreprises qui s'estiment lésées doivent donc essayer de faire valoir leurs droits devant des tribunaux ordinaires, lesquels sont supposés se baser sur la loi (votée par un parlement), et pas sur un traité signé par un gouvernement obligé de respecter la loi.
C'est un exemple dans lequel une institution démocratique reprend le dessus sur une prétendue "loi" du marché. Et, cerise sur le gâteau, cette institution est européenne.
Bon, c'est loin d'être gagné, mais on constate de plus en plus de résistance face aux excès de la mondialisation et du libre marché. Espérons que les choses continueront à évoluer, avec une prise de conscience qui forcera les dirigeants (élus par nous, faut pas l'oublier) à changer.
Je suis peut-être naïf, mais voilà ...
P.S.: merci au journal "le Droit de l'Employé" de la CNE pour les infos concernat ce dernier exemple (ce n'est pas une pub déguisée : il est logique que je cite mes sources, ça me semble même légal).